Extrait
Le gecko se nourrit des moucherons et des moustiques qui s’en viennent voleter aux angles de la croisées et se heurter à la vitre. La plupart du temps, la bête ne fait pas le moindre mouvement. Seule la langue, dardée soudain comme un éclair fulgurant, touche l’animalcule qu’elle ramène jusqu’à la bouche où il disparaît aussitôt. Malgré tout le soin attentif qu’il met dans son observation, monsieur Huart n’a jamais pu apercevoir la langue de l’animal et n’en n’a jamais retenu qu’une impression fugitive, un mouvement parfait et accompli sitôt qu’ébauché. Monsieur Huart se prend soudain à penser que si un fonctionnaire de l’université ne devait pas se garder de s’abandonner à la vanité des belles-lettres, il composerait quelque texte immortel sur le gecko. Mais, il en a la certitude, un jour viendra où une plume talentueuse saura s’appliquer à l’animal splendide et lui donner dans le bestiaire littéraire la place qu’il mérite.
Sans doute est-ce dans la conformation physique de la bête, dans ces chasses immobiles et implacables, dans cette puissance figée et redoutable, qu’il faut voir l’origine de la réputation de maléfice dont les gens du pays ont affublé le reptile. Aussi les Corses se feraient-ils trancher la main plutôt que de toucher un tel animal. Les femmes et les enfants n’en soutiennent la vue qu’en poussant de grands cris de terreurs et les hommes répriment à grand peine de longs frissons de répulsions.