- LND 2022 - Octobre
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
Les Cathédrales
(1997-1998)
ENFANCE
Mes blanches terrasses de marbre à l’ombre du château
Que vous me fûtes douces au devant de mon âtre
Quand flambait mon jeune âge au soin d’une marâtre
Et tous ces ciels d’orage pressentis au berceau
Broderies, soieries d’ors et d’argents tressés
Croyances chantées dans les marches aux noms savants
Mille et une différentes devant durer cent ans
Que nous avait prédit un vieil enchanteur pressé
Nous allions à travers les salles de livres emplies
Chercher dans les dédales d’une science apeurée
Le nom d’une île certaine si loin de nos envies
Et nous plongions dans la nuit froide des siècles oubliés
Si beaux sont les écrins à nos amours premières
De cet enfant surpris aux aurores printanières
À l’appétit sans fin jusqu’aux dernières gouttes d’ors
Du bas des âges, enfance, t’en souviens-tu encore ?
LA DANSE
Dans la vaste salle de grands feux toute éclairée
Chaude résonnait la danse devant les invités
Les belles effigies figées de lueurs colorées
Au dessus des troubadours de bois lointains étaient sculptées
Seuls nous les voyions danser et leurs éclats de rire
Nous étaient légendes des plus douces et des plus vraies
Aux soirs où nos invités, aveuglés, dansaient
Gorges qui frétillent elles lançaient leurs beaux soupirs
LE CONTE
Et ces douces mandorles d’or de vierges
Nous fascinaient et l’on riait d’extase d’enfant
Comme une douce histoire aux coloris éclatants
Apparaissait le visage, au soir le conte des rois mages
LE VITRAIL
I
Une installation étrange toute de couleurs ignorées
Dessinait sur ma tunique de fantasques feuillages :
Des arabesques vertes et bleues comme un langage
Par lequel la lumière parlerait sans arrêt
Je m’approchais éblouie et déjà convertie :
Une sainte à ma ressemblance mystérieusement
Sous un dais trônait dans ses mains des onguents
Et ses longs cheveux blonds comme moi d’ors sertis
Sous une voûte inconnue à l’architecture osée
Des anges joueurs de luth et de psaltérion
Voltigeaient et riaient de ma maladroite vision :
Sous la divine lumière ma verte bouche bée
II
Et nous riions de ce pétale d’une fleur fraîche éclose
Qu’on appelait benoîte et qui était rouge sang
Mais qui sait des verreries les secrets ravissements
Quand l’aube des temps s’émerveillait d’une rose
III
Vers le clair étage des nefs transversales
Là est mon cœur dans son berceau de pierre
Nul ne vient recueillir ses lumineux pétales
Nos âmes n’en sont-elles pas moins fière ?
BEATO ANGELICO
Au transept mon âme déjà trois fois recueillie
Du vitrail à la voûte trouve son plus sûr chemin
Et mes bruissements d’ailes et mon souffle serein
Dessus les carreaux et les fresques ont rejailli
SANDRO
Des vierges en tondo sourient en un monde doré
Où balbutient des anges. Leurs ailes à peine volages
Bruissent infiniment dans l’air sous l’éclat mordoré
…Sandro, tes sels divins posés sur mon visage…
LA SORCIERE
Des boîtiers renfermaient quelques sels mauvais
Des formules hostiles sortaient du vieux grimoire
Jetant des sorts inquiets dans le plus grand secret
Aux portes de mon souvenir on a cloué mon beau chat noir !
AN MILLE
I
Dans une dentelle de pierre en haut des tours
Une rose de lumière brillait aux alentours
Et laissait croître mon souffle vers ses divins rayons
Que jalousaient les colonnes effleurées de halos
Je suis dessus cette voûte en songe montée
J’ai vu les lueurs parées de froids incarnats
Une kyrielle de couleurs frappait de la claire-voie
Tout l’œuvre était là et le pur esprit tenté
J’ai donc monté plus haut encore, laissant la lumière
Devinant les minces piles de pierres élevées
Prise de froid et de tristesse accablée
Je contemplais en bas nos peines et misères
II
Et mon cœur et mon corps comme mille éclats croisés
Qui en baies colorées se brisent et s’abandonnent
Sous les rinceaux d’acanthes aux courbes épuisées
Jettent leurs dernières lueurs aux passants monotones
Et les plus lourdes de tes pierres, feuillages et fleurs
Lèvent leurs tours immenses aux yeux du nouveau monde
Et mon sang au bas des siècles abasourdis de peurs
Au pied de l’édifice auréole ma petite tête blonde
LA FOI
I
Quand je serai descendue de ma cathédrale de verre
Mes pas se posant au bas de mes idoles de pierre
Que j’aimais tant ; peut-être aurais-je la foi ?
Mes couleurs au ciel comme des rubans de soie ?
II
Leur amour est comme un vase aux décorations ciselées
Qu’elles tiennent parfois dans leurs mains longues, effilées
Peut-être y a-t-il un ciel pour mes vitraux amers ?
Se trouve-t-il au delà de mes déesses de pierre ?
L’ENTREE DANS LE TABLEAU
I
Mes pas menus me portent vers l’entrée du tableau
Sur le fond se détachent d’anges les plus jolis minois
Sur mon cœur des cheveux, filaments épars et halos
De lumière, ne cachent point mon étonnant émoi
Je viens, dis-je, sur fond d’or et de poussière
Prendre place dans vos couleurs opalines et bleutées
Place est donnée au milieu des saintes et, fière,
S’offre dans les tissus chauds d’un habit velouté
II
Quelle beauté en mon sein cette pluie d’or
Jeune fille à la blonde chevelure alors
Aux premiers soupirs ce changement nouvellement né
Berçait mes vingt ans d’Iseult blanche dessinée
LA CHUTE DE L’ANGE
Que le sol est dur et que chaque pas me pèse
Disait l’ange en sa pâleur nouvelle
Que mes pas sont lourds et la terre de braise
Et pénible le souffle dans vos cités nouvelles
Rendez-moi l’air évaporé de nos cieux sans limites
Et le vent céleste et frais glissant sur nos voiles
Rendez-moi l’idéal, la fierté et ces lumineux pétales
Que sont nos yeux ouverts sur l’éther sans limites
(Mais la voix a grondé et mes jambes plus lourdes
Au sol se sont comme écrasées
Je garde la rancœur comme une colère sourde
Aussi vile que l’ennui de ce corps empesé)
LES SŒURS
I
C’était un cloître de mille ans
Sur une colline, là en plein vent
Ouvert au ciel, ouvert aux chants
De leurs âmes de vingt ans
II
Elles étaient pures, riantes et pures
C’était comme un jour de fête tout le temps
Elles chantaient, serrées dans leurs robes de bure
Et riaient comme on rit à vingt ans
III
« Ai-je l’air, du haut de mes vingt ans
de ne pas savoir quoi faire de mes mains ?
Elles sont lisses et faites pour la prière
Quant à mon âme, elle bat dans le grand vent »
IV
Qu’ont-elles à rire ces prisonnières ?
Pourquoi ces regards si contents ?
Elles chantent depuis deux fois mille ans
Le regard clair, et sûres dans leurs prières
V
La foi, à toute heure et toujours
Aucun doute, seule la douce certitude
Qu’Il attend au bout du jour
Nos âmes prudes
LA FIN DES CATHEDRALES
Dans ce préau froid, au creux de la grand nef
J’ai cherché l’immense à mon cœur similaire
Les statues blanches ne regardaient qu’en l’air
Leurs robes immobiles de courants d’airs brefs
Hélas, ai-je pensé, si notre nature avide
Se perd si facilement dans ce couloir de vie
Et n’entend que l’écho d’une certitude ravie
Comme au sein de cette église froide et vide
Alors, où est la vérité et le feu des passions ?
Feux de la vie qui s’écoule et trépigne
Au son d’une danse le contrat que l’on signe
D’être heureux tout le temps et sans plus de questions
J’ai rêvé ces heures sans jamais les connaître
Toujours le froid, le vide des journées vaines
Mon dieu pourquoi éloignes-tu ce que nous désirons ?
Et l’écho de l’édifice me rendit ma question
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