Extrait de la préface
« Le texte et l’image, le geste et la parole »
La publication, il y a deux ans, de l’ouvrage de Jean-Christophe Liccia consacré aux jeux, à la musique, à la danse et au théâtre en Corse a été un coup de tonnerre dans le ciel de l’histoire culturelle de notre île ! Car si l’on connaissait nombre de divertissements populaires, la présence de chanteurs lyriques déroulant des carrières prestigieuses aussi bien à Bastia que sur les premières scènes d’Europe fut une véritable révélation. Élizabeth Giuliani nous donne d’ailleurs une idée des extraordinaires échanges qui existaient dans cette Europe musicale (p.192).
Certes, les historiens de la Corse savaient que Balzac, en 1838, avait un peu exagéré pendant son séjour à Ajaccio : « La civilisation y est comme au Groenland… Il n’y a ici ni cabinet de lecture, ni filles, ni théâtres populaires, ni société, ni journaux ni aucune des impuretés qui annoncent la civilisation. » Pourtant, Ajaccio disposait d’un fonds important de livres, réunis dès le Consulat par Napoléon et Lucien Bonaparte pour sa bibliothèque, le théâtre existait depuis 1831 (Xavier Trojani, p. 76, a retrouvé la qualité de sa programmation), et 1838 était précisément l’année des négociations pour le rapatriement à Ajaccio des collections du cardinal Fesch. Le même Balzac reconnaît pourtant que la Corse est l’un des plus beaux pays du monde… Toujours ce culte de la nature, sublime certes, dans une île où la culture est alors considérée comme quasi inexistante, ce qui ne manque pas de nous surprendre aujourd’hui.
Les voyageurs en Corse commencent par imiter l’antique, Sénèque en l’occurrence, et soulignent la beauté « horrible » des gorges du Tavignanu ou de la Restonica, plus tard celle du col de Bavella. Rappelons néanmoins que la notion d’effrayant, de surhumain, est alors partie intégrante du Sublime, recherché notamment dans les paysages de montagne. [...] C’est donc, pour ces visiteurs, que tout cet environnement tant urbain que culturel n’est pas à la hauteur de la personnalité à la renommée universelle qui y est née : Napoléon Bonaparte. Et ce sentiment, Napoléon lui-même le partage : à Sainte-Hélène, il décrit ses terribles cousins de Bocognano, le caractère rebelle des Corses qu’il rapproche des montagnards, des Cosaques… Mais jamais il ne fait allusion aux plaisirs de la poésie ou de la musique que cultivait pourtant son père. Rangeait-il ces aspects dans le magasin des accessoires de « cette politesse ridicule » dont il affuble Charles, et qu’il considère comme absolument inutile à sa carrière ou à l’ascension sociale de sa famille ?
Pourtant, Madame d’Abrantès rapporte : « Il faut avoir vu le Premier consul dans ses fonctions d’impresario [à Malmaison, voir I. Tamisier-Vétois, p 238] pour le connaître sous un aspect tout à fait étranger à ses portraits connus. » Et Antoine Casanova d’écrire : « Les rapports entre Bonaparte et la musique sont tout à la fois mal connus et incontestables. La correspondance avec Désirée Clary [vers 1794-1795] l’atteste. »
Pendant le Consulat et l’Empire, Napoléon est allé plus de 682 fois au théâtre, il y a vu 374 pièces de théâtre, certaines plusieurs fois, par exemple Cinna, la clémence d’Auguste : 12 fois ! On connaît son amitié avec le tragédien Talma qui lui donnait des cours de théâtre et de maintien, mais auquel l’empereur prodiguait en retour des conseils pour représenter un souverain sur scène (par exemple pour Néron, dans Britannicus de Racine, le 3 décembre 1799).
Jean-Marc Olivesi, Conservateur général du Patrimoine, Musée national de la Maison Bonaparte
Sommaire
Préface • Élisabeth Caude
Le texte et l'image, le geste et la parole • J.-M. Olivesi
Introduction générale • J.-C. Liccia
Les fêtes corses du marquis de Cursay au temps du carnaval (1750-1752) • A. Franzini
Portfolio I – La Moresca
Permission et interdiction de danser à Ajaccio au XVIIIe siècle • A.-M. Graziani
Réflexions sur la poésie corse au temps des Bonaparte • Eugène F.-X. Gherardi
Du Cinque Maggio à la figure de l’Empereur dans le folklore poétique et la poésie anonyme,
populaire, dialectale (1821-1921) • D. Antona-Cardinet
Les instruments de musique dans la tradition musicale corse du temps de l’enfance de Napoléon Bonaparte • D.Delgrossi
L’oratoire Saint-Jérôme : la naissance du premier théâtre municipal d’Ajaccio. Du Consulat à la fin
du Premier Empire • X. Trojani
Le théâtre Saint-Gabriel (1830-1870). Agences théâtrales, directeurs, compagnies et répertoires • X. Trojani
Le portrait d’une Bonifacienne, épouse de Jacques Jouvin : un précieux témoignage sur les goûts musicaux des élites locales • M.-É. Nigaglioni
Le théâtre à Bastia, des origines à la démolition du second théâtre de Marbeuf • M.-É. Nigaglioni
Le théâtre d’Andrea Scala • M.-É. Nigaglioni et A. Giuliani
Quelques autres scènes bastiaises • A. Jurquet
Le spectacle lyrique à Bastia : le triomphe du bel canto italien • A. Jurquet
Le théâtre de Bastia dans l’Europe de son temps : fonctionnement, programmation et artistes (1771-1802) • J.-C. Liccia
Par les voix et les voies de l’Europe avec Don Giovanni. Du XVIIe au XVIIIe siècle • É. Giuliani
Portfolio II – Les élites bastiaises et le théâtre amateur. Photographies de Tito de Caraffa, vers 1890
De hasard, de réflexion ou d’adresse : jeux et divertissements en Corse. Du XVIe au xXVIIIe siècle • J.-C. Liccia
Les débits de boissons à Ajaccio au XIXe siècle : du bouge au Grand Café • O. Bianco
Débauche, retape, tapin : la prostitution à Ajaccio au XIXe siècle • O. Bianco et X. Trojani
Napoléon Bonaparte et le théâtre à Malmaison • I. Tamisier-Vétois
Ont contribué à la création de cet ouvrage :
Jean-Christophe Licci, Commissaire d’exposition, auteur de Jeux, musique, danse et théatre en Corse. Quatre siècles de divertissements. xve-xviiie (Piazzola, 2019), ingénieur du contrôle de la navigation aérienne, chercheur en Histoire
Dominique Antona-Cardinet, Maître de conférences, spécialiste de littérature italienne, Université de Corse
Odile Bianco, Assistante administrative et de documentation, Musée national de la Maison Bonaparte
Damien Delgrossi, Responsable de la phonothèque du Musée de la Corse, Collectivité de Corse
Antoine Franzini, Laboratoire ACP, EA 3350, Université Gustave Eiffel, Marne-la-Vallée
Eugène F.-X. Gherardi, Professeur des universités, Università di Corsica-Pasquale Paoli, UMR CNRS 6240 LISA
Audrey Giuliani, Attachée de conservation, musée de Bastia
Élizabeth Giuliani, Conservateur en chef honoraire, BNF-Opéra de Paris
Antoine-Marie Graziani, Professeur d’histoire moderne, Université de Corse
Ariane Jurquet, Attachée de conservation, musée de Bastia
Michel-Édouard Nigaglioni, Chercheur au service de l’inventaire de Corse, Collectivité de Corse
Jean-Marc Olivesi, Conservateur général du Patrimoine, Musée national de la Maison Bonaparte
Isabelle Tamisier-Vétois, Conservatrice en chef, Musée national des châteaux de Malmaison et Bois Préau
Xavier Trojani, Attaché de conservation, Collectivité de Corse