Présentation
Georges Ravis-Giordani est né à Marseille en 1937. Petit-fils et fils de marin marié à une Corse originaire de Morsiglia, il est un pur produit de la « méritocratie républicaine ». Après ses études secondaires puis hypokhâgne et khâgne dans la cité phocéenne, il est admis, en 1958, à l’École normale de Saint-Cloud et, en 1962, passe avec succès l’agrégation de philosophie. D’abord enseignant dans divers lycées, il met un pied, en 1967, dans la faculté d’Aix pour y dispenser quelques heures d’enseignement d’ethnologie. Car au contact d’André Leroi-Gourhan, de Charles Parain et d’Antoine Casanova, il s’est pris de passion pour cette discipline alors en plein essor. Titularisé l’année suivante, il entame une carrière d’enseignant-chercheur dans une équipe menée par Hélène Balfet, mais avec un regard vers la Corse. Car, en 1968, au sein de la faculté, Fernand Ettori est à la tête du Centre d’études corses crée par Paul Arrighi et il y prend naturellement sa place avec Francis Pomponi puis Max Caisson. Il en deviendra le directeur en 1982 jusqu’à sa retraite en 1999. Ses qualités d’enseignant peuvent se mesurer à l’engouement de ses étudiants pour participer aux stages et auxquels il ouvrait les pages de la revue Strade, qu’il créait en 1993 pour publier, entre autres, les meilleurs de leurs rapports.
En 2016, cette revue consacrait son numéro 24 à un hommage à son fondateur. Comme il est d’usage, collègues, amis, anciens étudiants ont participé à ce fort volume pour témoigner de la place occupée par l’ethnologue sur un champ de recherche où la Corse était peu présente avant qu’il ne se mette à l’explorer. Mais Georges Ravis-Giordani, en 1973, portait aussi sur les fonts baptismaux, avec P. Lamotte, F. Ettori, F. Pomponi et A. Casanova, l’Association des chercheurs en sciences humaines (domaine Corse). Porte-voix de cette association, la revue Études corses, dont il a nourri nombre de livraisons, se devait, sur son mode propre, de saluer l’apport scientifique de ce savant qui, par l’observation obstinée du terrain, a renouvelé notre connaissance de l’île. Nous avons opté, comme pour l’hommage à F. Pomponi, décédé cette année et dont nous saluons la mémoire, pour la publication d’un certain nombre d’articles dispersés dans des revues autres que les revues insulaires ou dans des ouvrages collectifs, et souvent ignorés du public éclairé. Ils disent la richesse d’une œuvre et d’une pensée toujours en recherche. Raison pour laquelle on trouvera ici deux inédits, la « Lecture de la spalla » qui reprend et éclaire d’un jour nouveau le chapitre qui lui est consacré dans Bergers corses et « Clientélisme et clanisme : une réévaluation » fruit d’une réflexion interpellée par les mouvements de notre société.
Le monde des bergers qui a été l’objet de la thèse de doctorat de Georges Ravis-Giordani est naturellement présent dans ce numéro, y compris avec ses dimensions symboliques car, l’auteur est aussi parti à la quête d’une identité, d’une culture, de l’ensemble des outils réels ou idéels que les hommes se donnent pour organiser leurs rapports avec la nature et leurs rapports sociaux. Dans la société corse, ces derniers, au sein de la communauté, renvoient aux structures de parenté. Sa bibliographie dans ce domaine a valeur heuristique. Initiée dans le Niolu, poursuivie pour son village de Morsiglia, sa réflexion s’est élargie à l’ensemble de l’aire méditerranéenne pour montrer qu’il n’existe pas de modèle unique mais aussi que les règles évoluent lorsque changent, sous l’effet de la législation, de l’émigration, de l’économie globale, les modes de vie et les comportements. Car Georges Ravis-Giordani est « un anthropologue en prise avec son temps ». Pour le dire autrement, un citoyen engagé, convaincu que toute recherche doit servir à éclairer le présent, à mettre en lumière les enjeux réels auxquels nous sommes confrontés, loin des mythes et des faux-semblants mortifères. Raison aussi pour laquelle il n’a jamais cessé de « faire retour sur sa discipline », de s’interroger sur son évolution et sa pratique. Un beau témoignage de rigueur et de respect de l’autre.
Dans cette œuvre foisonnante et d’une richesse exceptionnelle il a fallu faire des choix. La liste des publications qui ouvre ce volume permet de mesurer ce que nous avons dû sacrifier. Elle est comme une invite au lecteur désireux d’aller plus loin. Mais, on ne saurait terminer cette brève présentation sans évoquer le sens du collectif de celui auquel nous rendons hommage. Il a été un fédérateur et grâce à lui la recherche interdisciplinaire a permis « un renouvellement des problématiques sur le fond d’une histoire en accélération ». De la RCP 351 qui a donné Pieve e Paesi à la direction de l’Atlas ethno-historique de la Corse, il y a la passion de l’île, l’engagement intellectuel mais aussi politique d’un homme qui, sur tous les terrains, fait vivre ses convictions.
La rédaction
Sommaire
Introduction– La rédaction
Préface– Georges Ravis-Giordani
« U pastore » et « lou pastre ». Quelques réflexions sur la place du berger dans la société, en Basse-Provence et en Corse
Au miroir de la mer, pasteurs des deux rives
Pastoralismes corse et sarde : le poids de l’histoire et l’empreinte de la culture
Lire l’omoplate. Approche ethno-historique et comparative d’une pratique divinatoire
Endogamie de localité et préservation d’un patrimoine collectif : un exemple corse
De la lignée au lignage, ou l’aîné caché
Le troupeau et le clan. Pratiques et représentations de la relation homme/animal dans la société corse
Le vert paradis des amitiés enfantines. Le compérage de saint Jean en Corse et dans l’aire italique
La « casa » et la « piazza » ou la leçon de Grossu Minutu
Partager sans diviser : les paradoxes de l’indivision
L’impossible Mezzogiorno. Clientélisme et clanisme en Corse : une réévaluation
Le problème de l’ethnocide
Le miroir aux métaphores. L’ethnologie des manuels
Éloge de la mule. Le postmodernisme en anthropologie