Paul Dalmas-Alfonsi - Vulnérabilité. La confusion des langues

Quand tout le monde communique, mais que plus personne ne se comprend, la cacophonie du quotidien nous offre de bien drôles de scènes ! Celle-ci nous est contée par Paul Dalmas-Alfonsi. 

 

Vulnérabilité. La confusion des langues

(Paris IIIe arrdt – jour de printemps)

 

Abracadabra. Cric crac. Je n’ai écouté mon portable qu’une fois dans le métro et presque à l’arrivée. Isabelle C. m’a appelé. Je surprends le message : « J’aurai une bonne demi-heure de retard. Tu peux compter même trois quarts d’heure. » Que faire une fois sur place, avec une telle avance ? Les passages ? La Gaîté Lyrique ? Il faut du temps pour voir tout ça. Acheter, lire le journal ? On l’attend, aujourd’hui, avec deux heures de décalage (décidément…). 

Saint-Nicolas-des-Champs ? Pourquoi pas un tour dans l’église, pour un petit regard aux fresques à peine restaurées ? Ce « foyer » est actif. Plutôt charismatique. Jamais vide en journée. Des dames sont à l’accueil ou s’activent au ménage. Tout brille comme un sou neuf. Elles posent le regard partout. Des gens prient en silence et d’autres psalmodient ou griffonnent des vœux – à déposer, pliés, au pied d’une statue. On peut se promener – douce lumière et grands tableaux.

Une jeune fille noire téléphone, assise sur l’une des deux marches très basses qui donnent accès à la cinquième chapelle à droite. Elle est un peu repliée sur elle-même et audible. Il fait très chaud dehors, dans le bruit des voitures : entrer au calme d’une église pour pouvoir discuter tranquille, quitte à s’emporter un moment et à hausser le ton, sans personne pour s’en soucier. Et puis, surtout, téléphoner. 

Garder le lien, c’est important. Tout le monde en est bien d’accord. C’est à peine une vie, la vie, avec tout le temps quelque chose à régler, quelque chose à prévoir et à surveiller. Moi, être au clair, j’ai l’habitude. J’aime bien avoir tout à l’œil. Quand on me cherche, quoi – Attends, qu’est-ce qu’elle me dit la femme, là ? – Il fait chaud, aujourd’hui. Je me suis habillée léger, mais juste. Joli marcel gris, neuf. Un cadeau. Short assez classe et les dernières baskets qui me font un peu mal, malgré les chaussettes – un poil trop fines, les chaussettes. Elle me dit d’arrêter de parler, la femme. Mais je dérange personne. Y a personne. C’est ce que je lui dis mais elle répond qu’il est là. Mais lui qui ?… « Ici, c’est la maison du Seigneur, on doit toujours la respecter. » Mais non, je veux pas sortir. Ça, pas question. Qu’est-ce que j’ai fait ? Mais j’ai rien fait ! Et j’ai pas l’habitude qu’on me parle sur ce ton. Là, je supporte pas. Et qu’est-ce qu’elle dit, l’autre qui se pointe aussi ? Tu viens en aide à ta copine ? Elles s’y mettent à deux contre moi. « Mais, dites-moi, là ! Vous êtes nue ! » Comment ça, je suis nue ! Pourquoi j’irais sortir ? « Oui, vous êtes nue. Les seins à l’air et les fesses à l’air ! » Quoi ? J’hallucine. 

Elle tente de s’enfuir par la première porte de côté qu’elle rencontre. Fermée ! Elle la secoue, sans résultat. Elle la pousse du pied ! Elle la frappe du pied ! Aïe ! Des cris. 

Ils l’ont laissée fermée, cette saleté de porte. Ça va ! Ça va ! J’y vais. Maintenant, oui, je veux sortir. Eh là ! Pouce ! Je sors. « Fille de joie, sors de l’église ! » Quoi ! « Elle téléphone ici. Elle nous parle mal. Et en plus on voit tout… Ses cuisses ! Tandis que des hommes passent. » Non mais, attention, c’est pas vrai ! Et toi, l’autre, aussi, hein ! « Arrête tes menaces ! Arrête de répondre ! Fille de joie ! Fille de joie, sors de l’église ! » 

L’étrange procession avance au pas de charge mais le trajet est long jusqu’à la bonne porte – « C’est pas celle-là, voyons ! La sortie est à gauche ! » – L’une des dames entonne : « Marie ! Marie ! Marie ! » Devant, précipitée, la fille en short avance, téléphone à la main – elle raconte en direct : « Oui, je suis en train de me faire virer de l’église ! J’y crois pas, j’hallucine. – Fille de joie, sors de l’église ! – Marie ! Marie ! – J’y crois pas ! Elles sont folles ! – Quitte Son église ! – Marie ! Marie ! »

Le contact est rompu. Cric crac. Pas de rémission, la bascule – avec le feedback qui chavire.

 

 

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