La prostitution en Corse se décline en mode mineur. Peu présente dans les débats de société contemporains, elle semble à première vue absente d’un paysage insulaire pourtant peu idyllique en matière de faits de violence, de criminalité, d’isolement ou de précarité – autant d’ingrédients qui peuvent accompagner les pratiques prostitutionnelles.
Invisibilisée par la morale et la honte, masquée aussi sans doute par l’image d’une tradition criminelle soi-disant « vertueuse » qui aurait gardé l’île immaculée, la prostitution demeure un impensé. L’est-elle à bon droit alors que de nombreux débats limitrophes imprègnent désormais la société insulaire ayant tous plus ou moins à voir avec le statut de la femme, de son corps et de la sexualité : inégalités au travail, violences conjugales, féminicides, revenge porn, soumission chimique, etc. ? Sur ces sujets, les problématiques se posent ici dans les mêmes termes qu’ailleurs.
L’enquête de terrain présentée dans cet ouvrage est conçue comme un premier pas pour éclairer ces questions. Elle s’attache à saisir les indices tant de la présence du fait prostitutionnel en Corse que des raisons de son « invisibilité » apparente – si l’on peut oser cet oxymore. Elle conduit au constat qu’il est nécessaire de sensibiliser les acteurs sociaux pouvant être mis en présence de faits graves et pour autant masqués.
D’autant plus que la prostitution se décline bien en « mode mineur », car elle touche très tôt les jeunes filles et les jeunes garçons, souvent les plus fragiles socialement.
Ce travail met en évidence les nouvelles pratiques de rencontres, essentiellement liées à l’usage des applications de rencontre et de la prostitution en appartement – qui expliquent sans doute en partie la disparition récente des anciens « caboulots », parfaitement tolérés jusqu’alors dans la société insulaire. Les auteurs analysent aussi les expressions des clients, interrogent les motivations qui les sous-tendent, identifient les logiques qui conduisent à cette extension du domaine de la cuite dont leurs récits témoignent.
L’enquête sociologique permet de mettre des mots sur des pratiques, de constituer des faisceaux d’indices probants et d’ouvrir les débats nécessaires à la protection des plus vulnérables au moment où la société insulaire modifie de plus en plus rapidement ses modes d’être ensemble.
Les auteurs
Marie PERETTI-NDIAYE est docteur en sociologie et chercheuse associée aux travaux de l'équipe Crise, École et Terrains Sensibles du Centre de recherches Éducation et Formation (CREF, Paris-Nanterre).
Aubry PRIEUR a une formation d'économiste et de développeur web; il travaille depuis plusieurs années sur les questions sociales et s'intéresse aux usages des technologies de l'information et de la communication. Il est consultant associé au sein de la SCOP COPAS.